Poutine et le pouvoir de l’action collective à partir d’une conscience partagée — Partie 2 : La grammaire sociale de la création
Une Méditation en 10 points sur Notre Moment Actuel
article original par Otto Scharmer, traduction par Anna Matard
Alors que les attaques et les crimes de guerre contre le peuple ukrainien s’étendaient et devenaient plus brutaux, j’ai eu du mal à me concentrer et à continuer à écrire cette contemplation sur notre moment actuel. Ce que nous voyons se dérouler est exactement le type d’amplification massive de l’ état d’absence — le champ social de la destruction — dont j’ai parlé dans la première partie de cet essai. La seule issue que j’ai trouvée était la voie du dedans (expression empruntée à un podcast génial auquel je reviendrai plus loin) : la contemplation de mon expérience personnelle.
Dans la première partie de cet essai, j’ai réfléchi au moment présent à travers le prisme de l’état d’absence — le prisme d’un champ social façonné par la grammaire de la destruction. Il en résulte un sentiment largement partagé de dépression et de désespoir. Ce sentiment est étayé par une quantité massive de données. Si vous n’êtes pas déprimé, vous êtes (probablement) déconnecté. En d’autres termes, si vous n’êtes pas dans le déni total de ce que nous faisons collectivement à notre planète, aux autres et à nous-mêmes, alors vous ne pouvez qu’être déprimé. Ou indigné. Ou les deux.
Dans cette partie, je vous invite à regarder la situation actuelle à travers le prisme d’une possibilité future émergente — le prisme d’un champ social façonné par la grammaire de la co-création transformatrice (voir figure 1).
5. L’histoire la plus importante et la moins bien racontée de notre temps
Permettez-moi de commencer cette partie en reliant notre moment actuel aux sens ressentis dans notre propre corps. Dans mon cas, je me connecte à la dissonance à travers deux sentiments différents : la dépression et la possibilité.
Tout d’abord, la dépression. Dans les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, comme tout le monde, j’ai suivi le déroulement des informations avec angoisse. Une partie de mon esprit luttait pour accepter ce que mes yeux et mon intellect voyaient clairement. Cette expérience a déclenché une sorte de sentiment de déjà-vu. Mon corps s’est souvenu que j’avais déjà eu cette sensation auparavant. Je l’avais ressentie au début du COVID. Je l’ai ressentie lorsque Trump a été élu président (et dans une certaine mesure tout au long de sa présidence). Je l’ai ressentie le 11 septembre. Peut-être l’avez-vous ressentie aussi, à l’une de ces occasions, ou à une autre ? À présent, nous connaissons probablement tous ce sentiment d’enfoncement : vous avez l’impression que quelqu’un a arraché le sol de sous vos pieds.
Lorsque nous examinons l’ensemble des expériences perturbatrices — la gamme complète des événements qui, au cours des deux dernières décennies, ont arraché le sol sous nos pieds — que voyons-nous ? Que fait cette expérience à notre état d’être ? Dans mon cas, je suis absorbé par ces événements et je fais une fixation sur eux. Je sors de mon propre corps, je me sens impuissant, et parfois même un peu paralysé. En un mot : je suis déprimé. Je me sens déconnecté de mon propre organisme. Je crois que c’est exactement ce que beaucoup d’entre nous ressentent aujourd’hui.
Une société collectivement déprimée est un phénomène répandu que beaucoup de gens reconnaissent, en particulier les jeunes et les plus sensibles d’entre nous. Si vous avez 22 ans aujourd’hui, vous avez vécu toute votre vie dans un monde qui est façonné par l’amplification des perturbations liées à l’état d’absence. Votre expérience de vie a commencé avec le 11 septembre, et à partir de là, la fréquence des perturbations pour la plupart des gens a augmenté, et non diminué.
C’est le premier sentiment. Il y a des quantités massives de données pour le confirmer. Mais quand j’y pense plus profondément, je réalise que ce n’est pas toute l’histoire. Oui, les gens sont déprimés. Mais un diagnostic de dépression physique ou émotionnelle ne prend pas en compte l’action de l’esprit humain, l’action de notre meilleur moi (notre moi supérieur ou Soi avec un S majuscule), une conscience dormante de l’ensemble que nous pouvons activer. Tout comme Poutine était aveugle à la conscience et à l’action partagées de la société civile et de l’action humaine collective en Ukraine, en Russie et dans le monde entier, dans notre sentiment largement partagé de dépression, nous sommes aveugles à notre possibilité et à notre action futures les plus élevées.
D’où vient ce deuxième sentiment ? Dans mon propre corps, je le situerais probablement dans mon cœur. Mais en réalité, il occupe toute la partie centrale de mon corps et rayonne de là vers le haut et vers l’extérieur. C’est un sentiment distinct de possibilité réelle que j’ai ressenti à plusieurs reprises. Je l’ai ressenti l’une des premières fois, à l’adolescence, lorsque j’ai manifesté avec 100 000 autres personnes contre les centrales nucléaires en Allemagne (à l’époque, nous nous opposions, entre autres, au scénario qui se déroule actuellement en Ukraine : des déchets nucléaires qui durent un million d’années et qui rendent votre système énergétique vulnérable au terrorisme et à la guerre). Je l’ai ressenti à nouveau à la fin des années 1970, lorsque ce même mouvement antinucléaire a conduit à la fondation du parti des Verts en Allemagne, qui a contribué à faire de l’Allemagne la première grande puissance industrielle à abandonner progressivement l’énergie nucléaire d’ici 2022 et le charbon d’ici 2030.
Dans les années 1980, j’ai été saisi par un autre sentiment fort de possibilité d’avenir réelle lorsque des militants de la paix et des droits civils de toute l’Europe ont semblé “collaborer” spontanément par-delà les frontières géographiques. En 1989, j’étais un étudiant organisateur qui codirigeait un programme d’études sur la paix autour du monde avec le célèbre chercheur sur la paix Johan Galtung. Nous avons emmené 35 étudiants de 12 pays pour un voyage d’apprentissage mondial de neuf mois afin d’apprendre auprès d’universitaires, d’acteurs du changement et de militants de base. Pendant la partie du voyage consacrée à l’Europe de l’Est, nous avons rencontré certains de ces militants à Berlin-Est, à Moscou et à Tartu, en Estonie, quelques mois seulement avant la chute du mur de Berlin. Avec du recul, j’ai été frappé par le fait que même les personnes qui se trouvaient en première ligne de ces mouvements ne semblaient pas avoir conscience de l’impact collectif qu’elles étaient sur le point d’avoir.
Jusqu’à présent, au cours de ma courte vie, j’ai vu de mes propres yeux des changements tectoniques à plusieurs reprises : la chute du mur de Berlin, qui a effectivement mis fin à la guerre froide ; la dissolution pacifique de l’Union soviétique ; la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ; le premier président américain afro-américain. J’ai vu les prémices d’un changement tectonique dans le mouvement d’action climatique mené par les jeunes. Et après les meurtres de George Floyd, Breonna Taylor et d’innombrables autres personnes, le mouvement Black Lives Matter a finalement mis en lumière le racisme systémique.
Nous avons nous-mêmes participé à certains de ces changements tectoniques, en descendant dans la rue pour mobiliser le changement. Mais même lorsque nous ne sommes que des témoins de l’activisme et du changement, nous pouvons sentir le champ des possibilités futures qui inspire les gens à agir collectivement. Pourtant, je suis convaincu que le changement tectonique le plus important de notre vie est encore à venir. Il sera plus fondamental que les changements précédents, aussi spectaculaires et bouleversants qu’ils aient été. Il s’agira d’un profond changement de paradigme et de conscience dans la manière dont nous sommes en relation les uns avec les autres, à Mère Nature et à nous-mêmes — et dans la manière dont nous transformons et reconstruisons nos institutions sociétales face à nos urgences sociales et planétaires.
Ma conviction qu’un changement transformationnel massif se prépare est partagée par de nombreuses personnes sur la planète. Je le ressens tous les jours en travaillant avec des équipes de direction dans les entreprises, les gouvernements et les institutions multilatérales comme l’ONU, ainsi qu’avec des militants de base dans leurs communautés locales.
Selon une étude récente, 74 % des habitants des pays du G20 (qui regroupent 60 % de la population mondiale et 80 % du PIB mondial) soutiennent la transformation de notre système économique pour mieux répondre aux diverses urgences planétaires et sociales de notre époque. Trois sur quatre ! Cette transformation a-t-elle déjà lieu ? La plupart du temps, non. Peut-elle se produire ? Absolument. Nous avons les ressources nécessaires. Nous avons les technologies. Nous avons les aspirations. Que n’avons-nous pas encore ? Le mouvement et les technologies de leadership collaboratif qui peuvent faire en sorte que cela se produise maintenant.
Donc, la dépression et le sens des possibilités. Ce sont les deux sentiments contradictoires que j’éprouve lorsque je me mets à l’écoute de notre moment actuel : le déjà vu des perturbations répétées qui amplifient le bruit de l’état d’absence, et simultanément le sentiment aigu de possibilité future que beaucoup de gens ressentent, mais dont ils ne savent que faire. Le premier sentiment est bien connu — il est amplifié et répété des millions de fois chaque jour. Le second sentiment fait partie d’une histoire plus importante et largement méconnue de notre époque. Elle est généralement étouffée par le bruit de la première. Cette deuxième histoire est le fil d’or que je suivrai dans le reste de ce blog.
6. Cinq histoires de progrès récents
Si nous faisons un zoom arrière à partir du moment présent, si nous nous concentrons non seulement sur les deux dernières décennies mais aussi sur les deux derniers siècles, que voyons-nous ? Nous voyons de profonds progrès dans le développement humain à travers au moins cinq domaines clés :
● La guerre. Oui, les guerres sévissent encore sur notre planète et ses habitants. Mais la vérité est que nous avons fait des progrès majeurs pour mettre fin à l’utilisation de la guerre comme moyen acceptable de résolution des conflits entre États. Oui, il y a eu des reculs et des exceptions, comme les événements douloureux en Ukraine, en Syrie et en Afghanistan. Et oui, il existe de nouvelles formes de conflits armés (plus intra-étatiques, moins inter-étatiques et plus cybernétiques et hybrides). Néanmoins, les progrès de la paix sur la planète depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont indéniables (voir figure 2).
● Décolonisation. La décolonisation de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique au cours des deux derniers siècles est l’une des réalisations historiques les plus importantes de l’histoire connue. Certes, il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Après la décolonisation politique, les prochains problèmes à résoudre sont la décolonisation économique et culturelle et la “décolonisation de l’esprit” (Vandana Shiva), la décolonisation de la pensée. Mais les progrès en la matière sont indéniables. Regardez cette carte animée qui montre un instantané des 500 dernières années.
● Esclavage et droits civils. L’abolition mondiale de l’esclavage et du servage est un autre accomplissement majeur, même s’il a fallu beaucoup plus d’années pour abolir les systèmes correspondants d’apartheid et de ségrégation. Et oui, chaque fois que nous avons constaté des progrès dans certains domaines, un retour de bâton n’était souvent pas loin derrière. Et même si la violence structurelle, le racisme systémique et les conditions d’esclavage continuent d’exister, il est indéniable que des progrès significatifs ont été réalisés.
● Les femmes . Les droits des femmes, le leadership des femmes et les libertés pour les identités de genre non-conformes sont des domaines supplémentaires de progrès stupéfiants. Il est de notoriété publique que l’investissement dans l’éducation des femmes et des filles est l’un des points de levier les plus importants pour lutter contre la justice climatique et la plupart des autres défis de développement de notre époque. Pendant la pandémie de COVID, certains de ces progrès ont ralenti. Selon le rapport 2021 du Global Gender Gap du Forum économique mondial, il faudra encore 136 ans pour combler le fossé de l’égalité des sexes (contre 100 ans auparavant). Pourtant, les nouveaux mouvements de changement des systèmes fondés sur la conscience sont coconçus de manière disproportionnée par des femmes leaders et par celles qui incarnent le mieux la dimension féminine et relationnelle du leadership.
● La pauvreté. Nous avons également réalisé des progrès substantiels pour sortir les gens de la pauvreté — notamment en Asie, et plus particulièrement en Chine. Année après année, le Rapport sur le développement humain des Nations unies rend compte de la tendance générale à des progrès remarquables dans la réduction des privations extrêmes au cours des deux premières décennies du XXIe siècle. Pourtant, la pauvreté reste un défi dans de nombreux endroits, et le monde est confronté au nouveau fléau de l’inégalité, qui pose de nouveaux défis pour la paix, la stabilité, ainsi que pour le bien-être humain et planétaire.
7. La grammaire sociale de la création
Les deux derniers siècles ont été témoins de ces cinq grandes histoires de progrès humain inspirant. Aucune d’entre elles ne s’est produite sans lutte ni revers. Nous en avons de nombreuses preuves aujourd’hui. Mais nous ne pouvons pas accepter les revers comme une preuve que le monde va à vau-l’eau. Nous devons replacer les événements dans leur contexte historique. Nous devons nous rappeler que seules les théories sont exemptes de contradictions. La réalité est toujours pleine de contradictions. Historiquement, les cas d’ état d’absence peuvent avoir été une réaction à des progrès antérieurs. Martin Luther King Jr. nous a rappelé d’adopter une vision à long terme lorsqu’il a souligné que “l’arc de l’univers moral est long, mais il s’incline vers la justice”.
Si cela est vrai, est-ce une loi naturelle sur laquelle nous pouvons tous compter ? Certainement pas. Les sciences sociales n’ont pas de “lois” comme celles des sciences naturelles. Il s’agit plutôt d’invariances qui ne s’appliquent que dans certaines conditions. Mais lorsque ces conditions changent — et surtout, lorsque la conscience des personnes concernées change — les comportements humains et les “règles” qui les décrivent changent également. En bref, en sciences sociales, les règles ont tendance à être plus fluides. Elles sont déterminées par l’état du champ social dans lequel les gens opèrent — par exemple, est-ce un champ de création ou un champ de destruction ? Dans cette optique, le leadership est la capacité d’un système à passer d’un type de champ social (ou grammaire sociale) à un autre, en fonction de la situation ou du défi à relever. (Pour une distinction plus différenciée entre quatre champs sociaux génériques, voir Scharmer 2018).
En appliquant cette vision aux cinq histoires ci-dessus, qu’est-ce qui a propulsé ces épisodes de transformation ? Quelle était la force motrice ? Dans chacune de ces histoires, je crois que nous voyons la même force ou le même mécanisme. Ces changements ont été impulsés par une constellation de mouvements civiques — mouvements pour la paix, mouvements de libération, mouvements d’abolition, mouvements pour les droits civils, mouvements pour les femmes et mouvements pour le développement humain — qui ont inspiré d’autres personnes à se joindre à la cause. Tous ces mouvements ont été lancés par de petits groupes de citoyens engagés qui, d’une manière ou d’une autre, ont créé une structure de soutien pour eux-mêmes et pour d’autres, leur permettant de cultiver un champ social intentionnel (exemples : la Highlander Folk School, le Student Nonviolence Coordinating Committee et la NAACP pour le mouvement américain des droits civiques ; les églises pour les mouvements des droits civiques en Europe de l’Est pendant la guerre froide). Au fur et à mesure que les activistes étaient attirés, formés et équipés de méthodes et d’outils, ils gagnaient du terrain et attiraient d’anciens observateurs dans leurs mouvements. Finalement, ces mouvements ont aidé les sociétés à se réimaginer et à se remodeler pour le mieux.
En d’autres termes, ces mouvements ont opéré à partir d’une connexion ressentie à un champ différent de possibilités réelles, le champ de la présomption d’un futur qui ne s’est pas encore manifesté (voir figure 1). C’est ce que des millions d’entre nous ont ressenti dans les rues lors des mouvements anti-nucléaires, verts, pacifistes, féministes, Black Lives Matter et pour le climat. Ces connexions ressenties n’ont rien de spécial. C’est ce qui nous rend humains. Les êtres humains sont la seule espèce sur terre qui peut réimaginer et remodeler son propre avenir. Nous pouvons réimaginer et changer les règles, les objectifs et les paradigmes qui dictent nos modèles et nos formes de civilisation et de collaboration. La culture et l’évolution de cette capacité sont essentielles pour l’avenir de cette planète — et pour l’avenir de l’humanité.
Mais qu’est-ce qui donne envie aux autres de se joindre à nous, de franchir le seuil de l’action ?
Il y a plusieurs années, j’ai animé un atelier en Zambie avec des militants anti-sida. Le groupe d’une trentaine de personnes comprenait des stars du football, des personnalités publiques et des gens ordinaires. Nous avons demandé à chacun d’entre eux de raconter l’histoire (a) du moment où ils ont pris conscience de l’épidémie de SIDA, et (b) du moment où ils sont devenus des militants engagés à faire quelque chose contre cette maladie. Sans exception, ils ont tous raconté la même histoire : le passage à l’activisme s’est produit lorsqu’ils ont ressenti un lien personnel avec la cause par l’intermédiaire de leur famille ou d’un ami proche. En d’autres termes, il s’est produit lorsqu’ils ont vécu une expérience qui a touché (et ouvert) leur cœur.
Un module standard des programmes du MIT que je dirige avec des cadres supérieurs d’Asie et d’autres parties du monde les invite à participer à un jeu de simulation du changement climatique dans lequel ils jouent le rôle de négociateurs du climat, en utilisant la science et des données réelles. Dans ce jeu, lorsqu’un pays ou une équipe de parties prenantes prend une décision, celle-ci est introduite dans un modèle qui indique ensuite aux décideurs comment cette décision affectera la planète en 2050 et 2100. Aucun des comportements n’est scénarisé. Mais voici le schéma que j’ai observé à maintes reprises : au premier tour, les décisions des dirigeants sont largement intéressées et conduisent généralement à un désastre à moyen terme (parce qu’ils font largement comme si de rien n’était, c’est-à-dire qu’ils suivent la voie actuelle). Au tour 2 du jeu, la plupart des équipes prennent des décisions plus radicales et font des coupes — mais l’impact positif est encore loin de ce dont la planète a besoin. Ensuite, on montre aux participants les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur les villes où ils vivent. Au fur et à mesure que les participants prennent conscience de ces images visuelles et qu’ils réalisent qu’un grand nombre de leurs villes côtières seront sous l’eau, ils commencent à s’attaquer aux problèmes avec plus de détermination et d’urgence. Ils tendent également la main aux autres joueurs pour coopérer et conclure des accords collectifs. Au troisième ou quatrième tour, l’impact collectif des joueurs s’est rapproché de l’objectif de 1,5 degré d’augmentation de la température moyenne que les climatologues savent nécessaire à atteindre.
En d’autres termes, l’évolution du comportement de l’équipe non scriptée tend à suivre le chemin tracé dans la moitié supérieure de la figure 3 :
NE PAS VOIR l’impact collectif de leurs actions sur la planète (déni) ;
NE PAS SENTIR l’impact malgré les données qu’ils ont sous les yeux (désensibilisation) ;
et NE PAS AGIR, bien que connaissant les faits et ressentant déjà l’impact (apathie collective).
Le retour d’information de la simulation met en lumière les angles morts des joueurs. Pourtant, leur comportement reste largement inchangé jusqu’à ce que les résultats deviennent expérimentaux ou personnels. Pour passer de l’apathie à l’action, il faut abandonner la conscience de l’égo-système des parties prenantes et développer une conscience partagée de l’écosystème dans son ensemble. Une fois que cette conscience est en place, elle conduit à une action rapide et décisive.
La différence structurelle entre la grammaire (et le champ) de l’état d’absence et la grammaire et (le champ) de l’état de présence est que la première est basée sur une architecture cognitive de séparation, tandis que la seconde est basée sur une architecture cognitive de connexion (voir figure 3).
Les architectures de séparation incarnent une déconnexion de la réalité à trois niveaux :
(1) la connaissance (une déconnexion entre le moi et le monde : le déni),
(2) la relation (une déconnexion entre le moi et l’autre : l’altération),
(3) et l’action (une déconnexion entre le moi et le soi : la dépression).
Les architectures de connexion transforment ces conditions en construisant des réceptacles contenants qui offrent la possibilité de reconnexions plus profondes au niveau de la connaissance, de la relation et de l’action. En d’autres termes, les architectures de connexion transformatrices et curatives sont basées sur les principes selon lesquels l’esprit et le monde ne sont pas séparés, le moi et l’autre ne sont pas séparés, et le moi et le Soi ne sont pas séparés. Cultiver ces domaines de conscience développe et approfondit nos capacités et nos connaissances scientifiques, esthétiques et éthico-pratiques et définit ainsi le programme de base d’une école du 21ème siècle.
Alors comment transformer les champs sociaux de destruction et d’état d’absence ? En remplaçant les architectures cognitives et sociales de séparation par des architectures de connexion dans tous les secteurs de la société.
Pour transformer les schémas d’absence, nous devrons renforcer et cultiver la capacité à nous connecter et à ressentir la résonance dans toutes nos relations fondamentales — entre nous, avec notre planète et avec nous-mêmes — puis à générer une action créative à partir de cette connexion et de cette résonance partagées.
8. La forme suit la conscience
L’attention portée à ces champs de connexion plus profonds exige que nous élargissions notre conscience habituelle (conscience du système de l’ego) pour inclure les points de vue de tous les êtres et partenaires de notre écosystème (conscience de l’écosystème). Christiana Figueres, l’architecte clé et leader de l’accord historique de Paris de 2015 sur le changement climatique, fait une distinction entre deux types d’intérêt personnel : l’intérêt personnel avec un petit p et l’intérêt personnel avec un grand P. Le premier est organisé autour de notre ego. Le second est organisé autour de la conscience du tout. Mais lorsque les gens traversent un moment de lâcher prise et se laissent inspirer, ils commencent alors à agir à partir d’une qualité de conscience différente — une conscience de l’ensemble. C’est ce que j’appelle la conscience de l’écosystème et ce que Christiana Figueres appelle les parties prenantes agissant à partir de leur intérêt personnel, P majuscule : un intérêt qui considère le moi comme faisant partie d’un réseau plus profond de connexions les unes avec les autres, avec la planète Terre et avec nous-mêmes.
Ce que je décris est une circonstance dans laquelle “la forme suit la conscience”. L’attention compte. Toutes les approches du changement des systèmes fondées sur la conscience sont basées sur le principe que le point de levier le plus important de tout système est la transformation de la conscience. Il ne s’agit pas de “Je pense, donc je suis”. Mais plutôt “Je prête attention [de cette façon], donc cela émerge [de cette façon]”.
Quand j’étais jeune et que je passais en voiture devant un accident de voiture, je me souviens d’avoir été soulagé si les secours étaient déjà sur place. Je savais que s’ils n’étaient pas là, ce serait à moi d’aider. Mais ce sentiment de responsabilité me mettait mal à l’aise et me rendait impuissant. Je n’aurais pas su quoi faire. Plus tard, j’ai décidé de changer cela. Après avoir refusé de m’engager dans le service militaire obligatoire en Allemagne, j’ai eu le choix d’effectuer un service social à la place. J’ai choisi la Croix-Rouge allemande. Pendant un an et demi, mon travail consistait à aider les médecins urgentistes. Pendant cette période, j’ai vu un bon nombre d’accidents plutôt terribles. Mais à ma grande surprise (et grâce à une formation aux interventions médicales), j’ai appris à surmonter mon sentiment d’impuissance et de paralysie. Face à des situations de vie ou de mort, j’ai appris à ralentir et à me concentrer sur les tâches à accomplir. J’ai appris à faire abstraction de toutes les voix distrayantes des observateurs et à prêter attention à ce qui devait être fait. Cette expérience a presque tout changé pour moi. Elle m’a appris que lorsque vous êtes confronté à un problème, vous avez le choix. Vous pouvez vous en détourner, ou vous pouvez vous tourner vers lui. Ce choix, ce geste intérieur subtil, active soit le champ de l’état d’absence, soit le champ de la présence. L’état d’absence est un gel de l’esprit, du cœur et de la volonté. L’état de présence est une ouverture de l’esprit, du cœur, et de la volonté, lorsque vous faites face à une perturbation (figure 1).
C’est la leçon que j’ai apprise de la Croix-Rouge. Mon attention compte. Lorsque j’ai commencé à me concentrer sur ce qu’il m’appartenait de faire, tout le champ socio-émotionnel s’est déplacé.
Partie III : Activer notre capacité d’agir
Réfléchissant au succès de l’accord de Paris, Christiana Figueres a déclaré que les enseignements et les pratiques du maître zen vietnamien et militant pour la paix Thich Nhat Hanh (1926–2022) l’ont aidée à tisser la diplomatie collaborative qui a abouti à l’accord. Elle cite en particulier la pratique de l’écoute profonde et les enseignements de Thich Nhat Hanh sur l’interconnexion de tous les êtres.
Lorsque les mouvements de lutte contre la guerre, la décolonisation, les droits civils, les droits des femmes et la pauvreté ont activé leur action collective, ils se sont tournés vers ces questions avec l’esprit et le cœur grands ouverts. Comme l’a dit ma collègue Antoinette Klatzky : si vous voyez avec votre esprit grand ouvert, cette vision contient les graines de la perception sensible. Si l’on sent avec l’esprit et le cœur grands ouverts, cette sensation porte en elle les germes de l’action.
Comment pouvons-nous construire ces infrastructures d’apprentissage plus approfondies qui soutiennent le passage de la conscience de l’ego à la conscience écologique à l’échelle que réclament les défis de ce siècle et cette décennie de transformation ?
9. La naissance d’une nouvelle civilisation
Toutes les histoires de changement que j’ai évoquées ici nous montrent ce qui est possible. Nous vivons un moment de rupture où une civilisation est en train de mourir et où une autre commence à naître. Cette nouvelle civilisation est fondée sur le rapprochement des trois grandes fractures de notre époque : l’écologie, le social et le spirituel.
La figure 4 est une représentation graphique de notre situation actuelle : en substance, nous regardons vers l’abîme. L’abîme écologique est le produit de notre urgence planétaire liée au climat et à la biodiversité. L’abîme social est le produit de l’effondrement de nos systèmes sociaux : des inégalités et de la polarisation aux atrocités commises en Ukraine, en Syrie, au Soudan, au Myanmar et dans de nombreux autres endroits, en passant par le risque très réel d’une guerre nucléaire totale. L’abîme spirituel reflète notre déconnexion croissante de nos sources intérieures de créativité et d’action, ainsi que la dépression et l’anxiété qui en résultent, en particulier chez les jeunes.
Que voyons-nous lorsque nous regardons dans ces trois faces de l’abîme ? Nous nous voyons nous-mêmes. Nous voyons que c’est nous, l’humanité, qui créons toutes ces formes de destruction. Personne d’autre. C’est la signature de notre époque — l’époque de l’Anthropocène. Ce sont les résultats que nous créons lorsque nous opérons à partir du champ destructeur de l’état d’absence. Nous pouvons reconnaître que les problèmes extérieurs sont un miroir des problèmes intérieurs, que l’abîme devant nous provient d’un abîme intérieur, c’est-à-dire de notre déconnexion de la planète, des autres et de nous-mêmes.
Alors comment pouvons-nous opérer le changement de civilisation sans précédent que cette urgence planétaire appelle ? Eh bien, personne ne le sait, bien sûr. Mais voici une hypothèse. Pas par le biais des actions de Big Money, Big Tech ou Big Gouvernement (même si nous avons besoin de ces trois choses sans M, T ou G majuscules). Et pas non plus en effrayant les gens (ce que le mouvement environnemental traditionnel a fait). Pas en blâmant les gens et en leur faisant honte (ce que les mouvements sociaux à enjeu unique ont tendance à faire). Tous ces groupes et types d’action doivent faire partie du mélange, en tant qu’éléments d’une stratégie globale. Mais ce que je veux dire, c’est que faire plus de la même chose ne nous mènera pas au prochain niveau. Ce qu’il faut, c’est quelque chose de différent. Ce dont nous avons besoin pour créer des formes de civilisation profondément nouvelles, c’est d’un élan vers l’avenir, et non d’une poussée du passé.
Commencer petit. Par “commencer petit”, j’entends commencer dans de petits cercles et communautés, à la fois locales et liées par le numérique, aligné autour d’une prise de conscience partagée de la situation et d’une intention commune pour l’avenir — un avenir qui est différent du passé. Certaines de ces initiatives et communautés sont basées sur le local. D’autres sont imbriquées dans une ou plusieurs institutions. Mais toutes partagent une caractéristique essentielle : le désir de transformer le champ social de destruction actuellement dominant en incarnant et en pratiquant des modes de fonctionnement différents. Ces communautés connectées à l’avenir mettent en œuvre la grammaire sociale et le champ de la création.
Combler les fossés écologiques, sociaux et spirituels. Si nous avons appris quelque chose au cours du siècle dernier en affrontant les crises sociétales, c’est ceci : aucun problème n’existe isolément de tous les autres. Vous ne pouvez pas répondre à l’urgence planétaire sans vous concentrer sur la justice sociale. Et vice versa. Et vous ne pouvez faire aucune de ces choses sans les ancrer dans la réduction du fossé spirituel.
Si nous regardons les grands changements de la société et de la culture des 60 dernières années, que nous apprend l’évolution des mouvements environnementaux, sociaux et de conscience ? Ils ont eu tendance à évoluer séparément. Mais ce qui est historiquement nouveau aujourd’hui — et ce qui me donne de l’espoir — c’est que l’intégration des aspects écologiques, sociaux et spirituels de la transformation est une intuition largement partagée, en particulier chez les jeunes.
Tisser le mouvement. Pourquoi suis-je convaincu que nous sommes au début d’un nouveau mouvement planétaire visant à combler les fossés ? Parce que je l’ai vu. Je l’ai ressenti. Je l’ai ressenti dans d’innombrables endroits ces dernières années. L’un de ces endroits est U.lab, un laboratoire d’apprentissage par l’action en ligne du MITx qui a facilité ce type de parcours pour plus de 200 000 participants. Nous avons également soutenu des milliers d’initiatives d’équipes avec des méthodes, des outils et des espaces pour les aider à se connecter et à collaborer — y compris les équipes de pays des Nations unies, composées des responsables de toutes les organisations des Nations unies, dans 25 pays (SDG Leadership Labs). Il ne s’agit pas seulement d’une idée, mais d’un réseau de relations co-créatives qui ne cesse de se développer. Il s’incarne dans un écosystème planétaire avec des groupes, des équipes et des initiatives cocréatives
Alors, d’où viendra le changement transformateur que cette décennie et ce siècle appellent de leurs vœux ? D’un mouvement qui émerge, travaille et collabore “de partout” (comme l’a dit récemment l’environnementaliste et entrepreneur Paul Hawken).
Ce sera un mouvement qui s’inspirera de l’intuition que les fractures écologiques, sociales et spirituelles ne sont pas trois problèmes, mais seulement trois expressions d’un seul et même problème : l’absence d’un champ social et d’une grammaire partagés à laquelle nous pouvons tous accéder et à partir de laquelle nous pouvons agir.
Changer la conscience. Où l’intégration des trois divisions — écologique, sociale et spirituelle — a-t-elle lieu ? Elle se produit en chacun d’entre nous, dans notre individualité personnelle comme dans notre individualité collective. Lors d’une récente session de GAIA, le Dr Noel Nannup, un ancien aborigène Noongar, nous l’a fait remarquer. Il a déclaré :
“Tout ce que nous devons faire, c’est avoir un morceau du chemin vers l’avenir qui est le nôtre ; et nous le polissons, nous l’affinons, et nous le plaçons dans le chemin que nous construisons ; et bien sûr, à mesure que nous construisons ce chemin, cela nous change en tant que constructeurs du chemin, et cela façonne également la destination vers laquelle nous allons.”
Avec ces mots, le Dr Nannup transmet un enseignement essentiel : chacun d’entre nous doit aligner son attention et son intention sur ce qui nous appartient, sur ce qu’il m’appartient de faire. Si nous avons appris quelque chose des mouvements et du travail de changement du passé, c’est peut-être ceci : tant que nous pensons au changement comme à des actions que d’autres personnes doivent entreprendre dans d’autres endroits, nous n’arriverons à rien. Ce qu’il faut, c’est un cadre qui place chacun d’entre nous au centre de la scène en tant qu’agent de notre propre avenir, à la fois individuellement et collectivement.
Si la seconde moitié du XXe siècle a été marquée par un conflit entre deux systèmes socio-économiques opposés et leurs idéologies correspondantes — le capitalisme et le socialisme -, le XXIe siècle présente un autre type de polarité. La ligne de faille ne se situe plus entre deux systèmes sociaux opposés. Aujourd’hui, la ligne de faille traverse la conscience de chacun d’entre nous. La ligne de fracture la plus importante dans la politique du XXIe siècle est celle qui sépare les systèmes entre eux et entre le soi et le système.
Dans le langage visuel des figures 1 et 3 : la ligne de faille la plus critique de notre époque traverse
la dimension verticale de ces figures, décrivant les différentes qualités de relation au monde, aux autres et à nous-mêmes en fonction de l’état de présence ou d’absence.
Cette alphabétisation verticale est la plus importante capacité de développement aujourd’hui. Observez, par exemple, avec quelle habileté l’Ukrainien Volodymyr Zelensky tire parti de son expérience personnelle et de sa capacité à ressentir le public, pour se connecter avec son peuple et inspirer la résistance, et pour s’adresser aux citoyens de Russie, d’Europe et d’Amérique d’une manière qui ne diabolise pas les forces opposées, mais s’adresse à l’humanité partagée de chacun.
CASA : Activer la vraie superpuissance. Si nous avons appris quelque chose de nos réponses à des défis perturbateurs comme la pandémie de COVID, les meurtres de George Floyd et Breonna Taylor, et l’invasion de l’Ukraine par Poutine, c’est peut-être ceci : la véritable superpuissance de notre époque n’est pas celle qui siège à Washington, ni celle qui siège à Pékin, et certainement pas celle qui siège au Kremlin. La véritable superpuissance de notre époque est l’action collective qui émerge de la conscience partagée de l’ensemble (CASA en anglais et ACCP en français). Casa, en latin, signifie maison ou foyer. Nous devons cultiver notre capacité d’action collective de type CASA afin de protéger et de régénérer notre maison et notre foyer : notre terre, notre communauté et nos écosystèmes éco-socio-culturels planétaires.
Comme le montre la figure 5, le CASA peut être considéré comme un quatrième type de mécanisme de gouvernance, en plus des trois traditionnels (gouvernement, marchés, lobbying des parties prenantes). Je considère l’émergence d’actions collectives de type CASA comme un type de gouvernance 4.0 et comme l’une des évolutions les plus significatives de la société actuelle. Des exemples CASA existent déjà sous de nombreuses formes au niveau local. Par exemple, on le retrouve dans les CSA (Community Supported Agriculture). Il tend également à apparaître dans les réponses aux catastrophes naturelles ou autres. Il émerge lorsque des communautés se lèvent face à la perturbation pour coordonner spontanément leurs actions autour d’une conscience partagée de l’ensemble de la situation comme nous le voyons en Ukraine, mais aussi dans les pays voisins qui accueillent les 3 millions de personnes qui ont fui l’Ukraine ces derniers jours.
Il existe aussi parfois sur la scène de la politique mondiale, notamment lorsque le monde s’est réuni autour de l’accord de Paris et des objectifs de développement durable (ODD) en 2015. Si vous souhaitez en savoir plus sur l’historique de l’Accord de Paris en matière de sensibilisation (et CASA), cliquez sur le lien du podcast à la fin de ce blog.
La figure 5 décrit quatre types de grammaires sociales et de modes de fonctionnement. Alors qu’aujourd’hui, l’attention du grand public se déplace lentement de 2.0 à 3.0, le principal défi de la transformation est de savoir comment progresser vers des modes de fonctionnement 4.0. Ce que nous constatons sans cesse, c’est que les institutions et les sociétés répondent aux défis 4.0 (nos urgences planétaires et sociales) par des mécanismes de réponse 1.0, 2.0 (et occasionnellement des mécanismes 3.0). Mais cela ne fonctionne pas car, pour paraphraser Einstein, nous ne pouvons pas résoudre nos défis avec le même mode de fonctionnement qui les a créés.
Le grand public est-il favorable à l’évolution vers une société 4.0 ? Je pense que ce soutien se développe rapidement dans de nombreux endroits aujourd’hui. Un exemple récent est la victoire écrasante de Gabriel Boric sur une plateforme basée sur la réduction des fractures écologiques, sociales et culturelles que le néolibéralisme et le régime Pinochet ont infligées au pays pendant près de 50 ans. Ci-dessous, deux photos du président Boric le jour de sa prestation de serment, honorant et étant béni par les traditions indigènes dans un rituel.
Gabriel Boric n’est qu’un exemple. Mais le soutien de 74 % des pays du G20 à la transformation de nos systèmes sociaux et économiques nous indique que le potentiel de changement profond qui existe aujourd’hui dans le monde ne peut être sous-estimé.
10. Ce que nous pouvons faire maintenant : Construire de nouvelles infrastructures d’apprentissage
Dans la première partie de cet essai, nous avons regardé ce qui se passe actuellement sous l’angle de l’absence — la grammaire sociale de la destruction. Dans cette deuxième partie, nous l’explorons sous l’angle de la présence — la grammaire sociale de la co-création. Comment ces deux points de vue et ces deux champs sociaux se rejoignent-ils ?
Ils sont dialectiquement entrelacés de manière intéressante. Nous nous trouvons souvent coincés entre les deux, personnellement, dans nos systèmes institutionnels et en tant que société. La vie, le leadership et le changement sociétal opèrent dans ce territoire fragile de l’entre-deux. Les choses peuvent évoluer dans un sens ou dans l’autre à tout moment. Cette fragilité semble être une caractéristique essentielle de notre époque.
Je n’ai pas essayé de brosser un tableau optimiste ici. Je ne pense pas que ce soit ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Personne n’a besoin d’un enrobage optimiste de quelque chose qui va vers un effondrement. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un réalisme radical, capable d’embrasser les réalités de l’état de présence et de l’état d’absence. Le mot radical est d’abord un adjectif, emprunté au XIVe siècle au latin tardif radicalis, lui-même issu du latin radix, qui signifie “ racine “. Le sens de radical au moyen — âge anglais tardif était : “former la racine”. Le réalisme radical considère la réalité du point de vue du visible et des racines.
Le réalisme radical vise à se connecter à la réalité au niveau de ce qui est, et au niveau de la formation des racines de ce qui veut émerger. Le réalisme radical dit ce que la plupart des gens savent déjà : le voyage devant nous ne sera pas facile. De nombreuses autres perturbations nous attendent. Mais ce qui importe le plus, c’est que l’avenir ne dépende pas de ces perturbations extérieures. Il dépend plutôt de nos relations et de la place intérieure d’où nous opérons lorsque nous répondons.
Bon nombre des défis les plus pressants d’aujourd’hui se résument à la manière d’engager et de transformer les modèles collectifs d’absence. La mise en lumière des trois angles morts — ne pas voir, ne pas ressentir, ne pas agir — offre quelques points de levier essentiels pour l’intervention. Mais l’essentiel est de ne pas considérer la manifestation de l’état d’absence (ou du mal) comme un ennemi. Nous devons plutôt comprendre chaque acte d’absence, comme une énergie créative qui a mal tourné — une énergie créative qui a échoué et qui s’est donc dirigée dans l’autre sens, sur le chemin de la destruction. Toutes les destructions et tous les actes d’absences sont des manifestations d’une énergie qui n’a pas pu réaliser son potentiel créatif. Pour engager et transformer cette énergie, nous devons d’abord trouver cet endroit en nous-même.
De ce point de vue, il est clair qu’en Ukraine, il ne peut y avoir qu’une seule voie à suivre : la diplomatie collaborative. Le plus tôt sera le mieux. Plus cela prendra du temps, plus d’horribles destructions collectives, la brutalisation et le traumatisme collectif seront infligés à tous. Une diplomatie intelligente et collaborative doit offrir des ponts à ceux qui sont coincés dans le champ de l’état d’absence et proposer des solutions qui vont au-delà de la logique binaire qui façonne la pensée dominante actuelle. La pensée fondée sur l’altérité et sur des antagonismes sans troisième option au milieu (comme la neutralité militaire de l’Ukraine). Il convient également de noter que la quasi-totalité du Sud (y compris le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud) n’a pas adhéré à l’antagonisme global du Nord jusqu’à présent.
Cela me ramène à notre pouvoir et à la façon dont chacun d’entre nous peut être directement impliqué dans l’infléchissement de l’arc de l’histoire vers la justice sociale, la guérison planétaire et l’épanouissement humain. Pour ce faire, nous avons besoin de nouvelles infrastructures d’apprentissage sociétal pour faire grandir, et connecter les innombrables initiatives en semences qui fonctionnent à partir d’une conscience partagée d’un futur qui veut se manifester. Nous ne pouvons pas les laisser se faire évincer par la machine à absences super-amplifiée qui pompe le bruit dans nos esprits et la destruction dans les écosystèmes. Où êtes-vous un activiste dans la construction de réceptacles contenant qui favorisent les architectures de connexion (plutôt que celles de séparation) ; où créez-vous et co-tenez-vous ces infrastructures d’apprentissage pour vous-même, pour votre équipe et pour les initiatives auxquelles vous participez ?
Afin de soutenir la création d’infrastructures d’apprentissage sociétal, le Presencing Institute lance une initiative visant à créer des prototypes et mettre à l’échelle un nouveau type de campus mixte pour démocratiser l’accès aux méthodes, aux outils et aux espaces permettant de transformer les systèmes dans la décennie de la transformation : maintenant.
L’objectif est de créer :
- Une plateforme d’apprentissage et d’innovation gratuite et reproductible pour une régénération radicale : méthodes, outils et espaces.
- Un écosystème dynamique d’exemples vivants et d’institutions qui incarnent et renforcent les capacités de régénération radicale dans les domaines de l’alimentation, de l’apprentissage, de la santé, du bien-être, des affaires, de la finance, de la technologie, du leadership et de la gouvernance.
- Un champ vivant de connexions entre des millions d’acteurs du changement radical qui opèrent à partir de la possibilité de futurs régénérateurs et qui inspirent les autres à activer leur agence.
- Une confiance croissante, fondée sur les résultats de la recherche, dans le fait qu’un avenir régénérateur est à portée de main et possible dès maintenant.
Si vous souhaitez participer à cet effort, veuillez ajouter votre nom à la liste de diffusion : ici
Avec cela, nous avons atteint la fin — c’est-à-dire le début. Nous avons commencé par être attentifs aux sentiments contradictoires que nous ressentons dans notre corps en ce moment. Dans cette exploration de deux grammaires sociales différentes, nous avons appris que l’avenir ne dépend pas seulement de ce que font les autres. L’avenir de cette planète dépend de chacun d’entre nous, seul et ensemble, et ce que nous portons comme capacité à réaligner notre attention et notre intention au niveau du tout. Comme nous l’a rappelé le Dr Nannup : “Tout ce que nous devons faire, c’est d’avoir un morceau du chemin vers l’avenir qui est le nôtre ; et nous le polissons et l’affinons…”
Le fait de détenir et de co-créer cette voie émergente vers l’avenir place chacun d’entre nous dans une relation très personnelle avec notre planète et avec notre avenir commun. Je pense à cet avenir comme à un ensemble de graines. Ces graines existent déjà. Mais ce qui n’existe pas, c’est le sol — le sol social — sans lequel aucune graine ne peut pousser. Qu’est-ce qui génère ce sol fertile ? C’est notre capacité collective à ramener le faisceau d’attention sur nous-mêmes. C’est notre capacité à voir et à reconnaître nos propres ombres dans l’abîme auquel nous sommes confrontés, et — si nous sommes capables de maintenir le regard stable — de transformer cette ombre, d’ouvrir notre champ de conscience, et de commencer à servir de véhicule pour le futur qui veut émerger.
Podcast conversation avec Christiana Figueres: The Way Out Is In
Exemples de système de changement base sur la conscience: Report
Blog de Otto: homepage
Merci à mes collègues Kelvy Bird pour le visuel en ouverture de cette réflexion et à Becky Buell, Antoinette Klatzky, Eva Pomeroy, Maria Daniel Bras, Priya Mahtani et Rachel Hentsch pour leurs commentaires et révisions utiles sur le projet.